Deuxième moment - La première maxime : obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, Descartes - Extrait et questions

Modifié par Estelledurand

Extrait  :

La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la  religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j’aurais à vivre. Car, commençant dès lors à ne compter pour rien les miennes propres, à cause que je les voulais remettre toutes à l’examen, j’étais assuré de ne pouvoir mieux que de suivre celles des mieux sensés. Et encore qu’il y en ait peut-être d’aussi bien sensés parmi les Perses ou les Chinois que parmi nous, il me semblait que le plus utile était de me régler selon ceux avec lesquels j’aurais à vivre ; et que, pour savoir quelles étaient véritablement leurs opinions, je devais plutôt prendre garde à ce qu’ils pratiquaient qu’à ce qu’ils disaient, non seulement à cause qu’en la corruption de nos mœurs il y a peu de gens qui veuillent dire tout ce qu’ils croient, mais aussi à cause que plusieurs l’ignorent eux-mêmes ; car l’action de la pensée par laquelle on croit une chose étant différente de celle par laquelle on connaît qu’on la croit, elles sont souvent l’une sans l’autre. Et, entre plusieurs opinions également reçues, je ne choisissais que les plus modérées, tant à cause que ce sont toujours les plus commodes pour la pratique, et vraisemblablement les meilleures, tous excès ayant coutume d’être mauvais, comme aussi afin de me détourner moins du vrai chemin, en cas que je faillisse, que si, ayant choisi l’un des extrêmes, c’eût été l’autre qu’il eût fallu suivre. Et particulièrement je mettais entre les excès toutes les promesses par lesquelles on retranche quelque chose de sa liberté ; non que je désapprouvasse les lois, qui, pour remédier à l’inconstance des esprits faibles, permettent, lorsqu’on a quelque bon dessein, ou même, pour la sûreté du commerce, quelque dessein qui n’est qu’indifférent, qu’on fasse des vœux ou des contrats qui obligent à y persévérer : mais à cause que je ne voyais au monde aucune chose qui demeurât toujours en même état, et que, pour mon particulier, je me promettais de perfectionner de plus en plus mes jugements, et non point de les rendre pires, j’eusse pensé commettre une grande faute contre le bon sens, si, parce que j’approuvais alors quelque chose, je me fusse obligé de la prendre pour bonne encore après, lorsqu’elle aurait peut-être cessé de l’être, ou que j’aurais cessé de l’estimer telle.

René DESCARTES, Discours de la méthode (1637),  Gallimard, collection Tel, Paris, 2009, p. 96-97. 


Questions : 

1. Pour quelle raison doit-on se donner des règles d'action et les suivre ? Quelle serait la conséquence si l'une et l'autre de ces conditions n'étaient pas satisfaites ?

2. Ne serait-il pas préférable d'agir au hasard ? Montrez la raison pour laquelle Descartes rejette cette possibilité. 

3. Explicitez le contenu de la première maxime. Quelle source de la morale, déjà rencontrée plus tôt dans la leçon, reconnaissez-vous ?

4. En quoi est-il raisonnable "d'obéir aux lois et aux coutumes de son pays" plutôt qu'aux lois et coutumes d'un autre ?

a) Analysez précisément les exemples pris par l'auteur.

b) Quelle est la logique à l'œuvre, s'agissant de justifier l'adoption des mœurs de la culture dans laquelle nous vivons ? 

5. Quel lien l'auteur établit-il entre la coutume et la religion ?

6. Expliquez l'expression : "Les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès" ?

a) En quoi suivre ces opinions est-il l'attitude la plus sensée ?

b) Rapprochez cette formule de cette autre formule : "Et entre plusieurs opinions également reçues, je ne choisissais que les plus modérées". 

7. Expliquez : "Car, commençant dès lors à ne compter pour rien les miennes propres, à cause que je les voulais remettre toutes à l'examen, j'étais assuré de ne pouvoir mieux que de suivre celles des mieux sensés."

a) Que peut-on en induire, quant à la relation entre les coutumes sociales et les maximes subjectives qui pourraient être alors celles de l'auteur ?

b) Ne voyez-vous pas une difficulté, alors que l'auteur est dans une démarche de doute et de remise en question, à identifier certains principes comme étant plus "sensés" que d'autres ? Laquelle ?

8. Analysez en quoi cette première règle est un critère de choix. 

9. Montrez que plusieurs critères de choix sont imbriqués les uns dans les autres. Sont-ils hiérarchisés ? 

10. Descartes recommande-t-il vraiment de suivre aveuglément les lois et les coutumes de son pays ? S'agit-il d'abandonner tout jugement et tout esprit critique ? 

11. Dès lors, suffit-il de respecter les lois et les coutumes de son pays pour bien agir ? 

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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